Daniel Pink
En s’appuyant sur plus de 40 ans d’études scientifiques et psychologiques sur la motivation humaine, Daniel Pink démontre comment la majorité des entreprises fait fausse route dans le management des équipes, non sans conséquences sur nos vies personnelles. Dans ce livre il examine les 3 éléments de la motivation, l'autonomie, la maîtrise et la finalité (Motivation 3.0) à travers des exemples concrets et avec beaucoup d’humour.
Il faut passer outre un titre d’ouvrage un peu « racoleur » (on aurait pu se contenter d’un « Comprendre ce qui nous motive ») mais j’ai vraiment apprécié la lecture de ce livre, bourré de références, d’études concrètes et d’humour.
N.B. Comme vous le constaterez mon objectif n’est pas de vous proposer une synthèse ni une analyse de ces lectures mais de vous en offrir mes extraits préférés pour, peut-être vous donner envie de les lire.
« « Quand l'argent est utilisé comme récompense extérieure d'une activité, le sujet attache moins d'intérêt à cette activité même.» Une récompense peut stimuler le sujet à court terme, tout comme un peu de caféine peut vous faire tenir le coup quelques heures de plus, mais l'effet s'estompe. Pire encore, la récompense peut réduire la motivation à poursuivre le projet à long terme. »
« Cependant, au bout du compte, et comme l'ont montré plusieurs chercheurs, l'open source dépend tout aussi fortement de la motivation intrinsèque que les modèles d'entreprise du passé dépendaient de la motivation extrinsèque.
Karim Lakhani, professeur de management au MIT et Bob Wolf, consultant du Boston Consulting Group, ont enquêté auprès de 684 développeurs de logiciels en open source, principalement en Amérique du Nord et en Europe, pour savoir ce qui les incitait à participer à de tels projets.
Lakhani et Wolf ont découvert un ensemble de motifs, mais ils se sont aperçus que « la motivation intrinsèque du plaisir, à savoir le sentiment d'être créatif en collaborant à ce projet, est le déterminant le plus fort et le plus durable ». Une vaste majorité des analystes-programmeurs ont déclaré qu'ils atteignaient souvent cet état d'implication et de réussite optimal appelé flow. De même, trois économistes allemands qui ont étudié des projets d'open source du monde entier ont constaté que les participants étaient motivés par « un ensemble de facteurs essentiellement intrinsèques », en particulier « le plaisir [...] de relever le défi de résoudre un problème logiciel donné » et le « désir d'offrir un cadeau à la communauté des programmeurs ». Motivation 2.0 cadre difficilement avec de tels élans. »
« Pour tenter d'illustrer mon idée, je vous propose un jeu. Supposons que quelqu'un m'ait donné 10 euros, à partager avec vous selon les règles qui vont suivre. Si vous acceptez ma proposition, nous partagerons cet argent. Si vous la refusez, ni vous ni moi ne toucherons rien. À présent, si je vous propose 6 euros (ce qui signifie que j'en garderai quatre pour moi), les acceptez-vous ?
Très probablement. Si je ne vous en propose que cinq, vous accepterez aussi, probablement. Mais si je vous propose seulement 2 euros ? Lors d'une expérience répétée un peu partout dans le monde, la plupart des sujets ont refusé les offres inférieures à 3 euros.*
Du point de vue de la maximisation de la richesse, c'est pourtant insensé.
En acceptant mon offre de 2 euros, vous vous retrouveriez plus riche de 2 euros, tandis qu'en la refusant, vous n'obtiendriez rien du tout. Votre calculateur cognitif sait parfaitement que deux est plus grand que zéro, mais comme vous êtes un être humain, ce critère passe chez vous au second plan par rapport à votre notion de ce qui est juste et équitable, à votre désir de vengeance ou à votre simple irritation. »
*Colin Camerer, « Behavioral Economics: Reunifying Psychology and Economics », Proceedings of the National Academy of Sciences, 96, septembre 1999, 10576.
« Un travail routinier et peu intéressant suppose une direction, mais un travail intéressant et peu routinier suppose de l'autonomie. Un homme d'affaires éminent qui ne souhaite pas que son nom soit mentionné a expliqué que dans les entretiens de recrutement qu'il faisait passer, il disait au candidat : « Si vous avez besoin que je vous motive, je ne suis pas disposé à vous engager. »
Pour résumer, Motivation 2.0 présente trois problèmes de compatibilité. Il ne cadre pas avec la façon dont nombre de nouveaux modèles d'entreprise décrivent le comportement humain. En effet, nous ne maximisons pas seulement le profit en raison d'une motivation extrinsèque, nous maximisons aussi la finalité en vertu d'une motivation intrinsèque. Motivation 2.0 ne correspond pas non plus à la conception qu'ont de notre comportement les économistes du XXI siècle. En effet, ils ont fini par se rendre compte que nous étions des êtres humains et non des robots. Enfin, et c'est peut-être le plus important, Motivation 2.0 est difficilement conciliable avec une grande partie de notre activité, sachant que pour un nombre croissant de gens, le travail est souvent créatif, intéressant et propice à l'autonomie plutôt que routinier, ennuyeux et dirigé par autrui. Pris ensemble, ces problèmes de compatibilité nous indiquent que dans notre système d'exploitation motivationnel, quelque chose va de travers. »
« On peut trouver une importante leçon de motivation humaine dans une des scènes les plus inoubliables de la littérature américaine. Au chapitre 2 des Aventures de Tom Sawyer, de Mark Twain, Tom se voit assigner par sa tante Polly la tâche ennuyeuse de blanchir à la chaux trente mètres de palissade. Le moins qu'on puisse dire est que cela ne l'enthousiasme pas : « La vie n'était plus qu'un lourd fardeau. »
Mais voilà que « soudain, au beau milieu de son désespoir, il eut un trait de génie ». Alors que son copain Ben, passant par là, commence à se moquer de son triste sort, Tom entreprend de donner le change en lui faisant croire que la possibilité de passer du lait sur une palissade de chaux est à ses yeux un privilège : autant dire que c'est une source de motivation intrinsèque. Il se montre passionné par ce travail au point de refuser de laisser Ben peindre lui-même un petit moment, lorsque celui-ci le lui demande. Tom continue de refuser de céder, jusqu'à ce que Ben lui offre finalement sa pomme en échange de cette faveur.
Bientôt arrivent d'autres garçons qui vont eux aussi tomber dans le piège de Tom et finalement badigeonner eux-mêmes la palissade à sa place, jusqu'à la couvrir d'une triple couche. Mark Twain tire une règle de motivation essentielle de cet épisode, à savoir « que travailler c'est faire tout ce qui nous est imposé, et s'amuser exactement l'inverse ». Twain ajoute : « Il y a en Angleterre des messieurs fort riches qui conduisent chaque jour des diligences attelées à quatre chevaux parce que ce privilège leur coûte les yeux de la tête, mais si jamais on leur offrait de les rétribuer, ils considéreraient qu'on veut les faire travailler et ils démissionneraient. »
En d'autres termes, une récompense peut avoir un effet inattendu sur le comportement du sujet : elle peut transformer une tâche intéressante en besogne ennuyeuse. D'un jeu, elle peut faire un labeur. En réduisant la motivation intrinsèque, elle peut faire disparaître la performance, la créativité et même le savoir-vivre et la distinction. Appelons cela l'effet Sawyer. Une série d’expériences fascinantes réalisées dans le monde entier permet de distinguer les quatre domaines dans lesquels cet effet apparaît et de mettre en évidence, là encore, le décalage entre ce que savent les scientifiques et ce que font les professionnels. »
« Ils ont sélectionné 87 participants et leur ont demandé de jouer à différents jeux faisant appel à des aptitudes motrices, à la créativité ou à la concentration. Les participants devaient par exemple lancer des balles de tennis sur une cible, déchiffrer des anagrammes ou mémoriser une série de chiffres. Pour tester le pouvoir des incitations, les chercheurs leur ont proposé une récompense pour un niveau de performance donné, mais en variant la récompense selon les participants.
Pour un tiers des participants, atteindre un certain résultat rapportait une petite récompense de 4 roupies (soit environ 30 centimes d'euro à l'époque, cela représentait un jour de salaire à Madurai). Pour un tiers, la même performance rapportait une récompense de 40 roupies (soit 3 euros ou deux semaines de salaire).
Enfin, pour le troisième tiers des participants, la récompense était très importante, 400 roupies (soit environ 30 euros ou près de cinq mois de salaire).
Qu'a-t-on pu observer? La performance a-t-elle été fonction de la récompense?
Elle l'a été, mais pas dans le sens que l'on pourrait penser. Les participants qui pouvaient obtenir la récompense intermédiaire n'ont pas fait mieux que ceux qui pouvaient obtenir la plus faible récompense. Quant aux participants auxquels une magnifique récompense de quatre cents roupies était promise, ce sont eux qui ont de loin réussi le moins bien les épreuves. »
« […] ils se sont rendus dans un centre de transfusion sanguine de Göteborg et ont trouvé cent cinquante-trois femmes disposées à donner leur sang. Ensuite, comme c'est apparemment la coutume chez les chercheurs qui étudient la motivation, ils ont divisé ces femmes en trois groupes?. On a présenté le don du sang aux membres du premier groupe comme un acte bénévole pour lequel il n'y aurait pas de rémunération. Les participantes du deuxième groupe se sont vu proposer 50 couronnes (environ 6 euros), tandis que celles du troisième groupe se sont vu proposer 50 couronnes également mais avec la possibilité immédiate d'y renoncer au profit d'une association qui s'occupait d'enfants atteints du cancer.
Dans le premier groupe, 52 % des participantes ont décidé de donner quand même leur sang. Apparemment, elles étaient motivées par des considérations altruistes.
Selon les principes de Motivation 2.0, les participantes du deuxième groupe auraient dû être un peu plus motivées à donner leur sang. Leur participation indiquait une motivation intrinsèque. À cela s'ajoutaient quelques couronnes qui pouvaient les stimuler un peu plus encore dans leur élan. Or, comme vous l'avez peut-être deviné, ce n'est pas ce qui s'est produit. Dans ce groupe, 30 % seulement des participantes ont décidé de donner leur sang. Au lieu d'accroître le nombre de donneurs, la perspective d'une rémunération le réduisait presque de moitié.
Quant aux participantes du troisième groupe, qui avaient la possibilité de donner directement la somme proposée à une œuvre de bienfaisance, elles ont présenté une réaction analogue à celle des membres du premier groupe avec 53 % de donneuses !
En fin de compte, Titmuss avait peut-être vu juste.
Une incitation financière ne stimulait pas le comportement souhaité, bien au contraire. La raison ? Cette incitation dénaturait un acte altruiste et « chassait » le désir intrinsèque d'accomplir une bonne action. »
« Comme l'explique Souvorov : « Les récompenses créent une accoutumance dans la mesure où, une fois qu'elle est proposée, une récompense conditionnelle conduit l'agent à l'espérer chaque fois qu'il sera confronté à une tâche similaire, ce qui oblige le principal à récompenser encore et encore. » Par ailleurs, au bout de peu de temps, la récompense en question risque de ne plus suffire. Elle cesse rapidement d'être ressentie comme une prime pour apparaître comme un statu quo. Le principal est alors obligé d'offrir des récompenses plus importantes pour obtenir le même effet. »
« Là où les récompenses extrinsèques sont la règle, les gens n'accomplissent souvent que le travail nécessaire pour obtenir la récompense. Bien souvent, des étudiants qui obtiennent un prix s'ils lisent trois ouvrages n'iront pas en lire un quatrième et encore moins prendre l'habitude de lire, de la même manière que des dirigeants d'entreprise qui atteignent leurs objectifs quantitatifs trimestriels ne feront généralement rien pour que l'entreprise gagne un sou de plus et se préoccuperont encore moins de la santé de l'entreprise à long terme. De même, plusieurs études montrent qu'en payant les gens pour faire du sport, pour arrêter de fumer ou pour prendre leurs médicaments, on obtient tout d'abord de magnifiques résultats mais ce comportement sain disparaît dès que les facteurs incitatifs sont supprimés. À l'inverse, en l’absence de récompenses conditionnelles ou lorsque les incitations sont suffisamment astucieuses, les gens progressent et comprennent mieux les enjeux. Ce qui est grand ne peut être proche, et inversement. Pour vraiment progresser, il faut s'élever et tendre vers l'horizon. »
« Le contraire de l'autonomie est le contrôle, et comme ces deux notions représentent deux situations très différentes en termes de comportement, elles nous orientent dans deux directions différentes. Le contrôle implique la soumission, tandis que l'autonomie implique l'implication. Cette distinction nous amène au second élément du comportement de type I : la maîtrise, c'est-à-dire le désir d'être toujours meilleur dans une activité donnée.
Comme je l'ai expliqué dans la partie 1, l'objectif de Motivation 2.0 était d'inciter les gens à faire certaines choses d'une certaine façon : ils devaient se soumettre, obéir. Pour que cet objectif soit atteint, peu de motivateurs sont aussi efficaces qu'une belle carotte et la menace d'un coup de bâton occasionnel. Bien sûr, ce système ne favorisait pas la réalisation personnelle, mais du point de vue économique et stratégique, il correspondait bien à une certaine logique. Pour les tâches mécaniques, c'est-à-dire les types de travaux les plus courants au XXe siècle, soumettre les gens à des instructions et à des règles fonctionnait généralement bien.
Ce n'est cependant plus d'actualité. Au XXI° siècle, une telle stratégie n'est plus adaptée. Nous avons souvent des problèmes complexes à résoudre, et il faut pour cela un esprit curieux et la volonté d'expérimenter pour tenter de trouver une solution inédite. Motivation 2.0 supposait la soumission, tandis que Motivation 3.0 fait appel à l'implication. Seule l'implication peut produire la maitrise, et la recherche de la maîtrise - un élément important mais souvent négligé de notre troisième type de motivation - est devenue essentielle pour pouvoir aboutir à quelque chose dans l'économie actuelle. »
« Professeur de psychologie à l'université de Stanford, Carol Dweck a réalisé une somme de travaux rigoureux qui ont fait sa renommée dans le domaine des sciences comportementales. Pour elle, ce que les gens croient conditionne ce qu'ils accomplissent. Nos croyances à propos de nous-même et de nos capacités déterminent notre manière d'interpréter nos expériences et peuvent nous imposer des limites dans ce que nous réalisons. Bien que ses travaux soient surtout centrés sur des notions d'intelligence, ses résultats sont tout aussi valables pour la plupart des capacités humaines et permettent de définir la première loi de la maîtrise : la maitrise est un état d'esprit.
Selon Carol Dweck, on peut avoir deux visions différentes de sa propre intelligence. Pour ceux qui ont une « théorie de l'entité », l'intelligence n'est rien d'autre que cela : une entité. Elle existe en nous, sa quantité est définie et nous ne pouvons pas l'accroître. À l'inverse, les adeptes de la « théorie incrémentielle » considèrent que si l'intelligence peut varier légèrement d'un individu à un autre, il est surtout possible - non sans effort - de l'augmenter. Pour faire une comparaison avec le monde physique, la théorie incrémentielle considère l'intelligence comme une sorte de force que l'on peut développer, à l'instar d'une force physique augmentée par des exercices de musculation. Pour les partisans de la théorie de l'entité, l'intelligence est plutôt comme la taille une fois adulte : il n'est pas possible de grandir!. Si vous Pensez que l'intelligence est une grandeur fixe, alors toute rencontre éducative ou professionnelle devient une votre propre capacité. En revanche, si vous pensez que l'intelligence est une chose que vous pouvez développer, alors ces mêmes rencontres deviennent des opportunités de progresser. Dans le premier cas, l'intelligence est une chose que l'on peut montrer ; dans le dernier cas, c'est une chose que l'on peut développer. »
« Selon Carol Dweck, « l'effort fait partie de ce qui donne un sens à la vie. L'effort signifie qu'on se soucie de quelque chose, que quelque chose compte et que l'on est prêt à travailler pour cela. La vie serait bien misérable si l'on n'était pas disposé à accorder de la valeur aux choses et à s'impliquer en conséquence dans le travail ».
C'est aussi ce qu'explique un autre savant, qui n'a pas de doctorat mais qui a sa plaque au panthéon du basket (Basketball Hall of Fame) de Springfield, dans le Massachusetts. « Être un professionnel, a dit un jour Julius Erving, c'est faire ce que l'on aime les jours où on n'a pas envie de le faire. »
« Telle est la nature de la maîtrise : la maîtrise est une asymptote.
On peut s'en approcher. On peut se diriger vers elle.
On peut s'en retrouver infiniment proche, mais comme Cézanne, on ne pourra jamais la toucher. La maîtrise est une chose impossible à posséder complètement. Tiger Woods, peut-être le plus grand golfeur de tous les temps, a bien déclaré qu'il devait - et qu'il pouvait - s'améliorer.
Il l'a dit quand il était amateur, et il le redira après sa meilleure partie ou à la fin de sa saison la plus réussie.
Son but, c'est la maîtrise. On le sait parfaitement. Ce que l'on sait moins, c'est qu'il est conscient du fait qu'il ne l'atteindra jamais. Elle lui échappera toujours.
L'asymptote de la maîtrise est une source de frustration. Pourquoi courir après ce que l'on ne pourra jamais atteindre tout à fait ? Mais c'est aussi une grande tentation. Pourquoi ne pas essayer? Le plaisir est davantage dans la quête que dans la réalisation. En fin de compte, la maîtrise nous attire précisément parce qu'elle nous échappe. »